OUVREURS AU RALLYE MONTE-CARLO
Anges gardiens des pilotes

Malijai-Puimichel ! Ces deux petits villages cachés au beau milieu des Alpes du Sud ne vous disent certainement rien. Ils forment le nom de la 1ère étape spéciale de la 88ème édition du Rallye de Monte-Carlo.

Jeudi, 19h00, nous sommes à Malijai, au départ de la 1ère spéciale. Bernard Herman et moi-même sommes au Monte-Carlo, non pas en tant que participants, mais en tant qu’ouvreurs. Au rallye de Monte-Carlo, les ouvreurs sont les anges gardiens des pilotes et co-pilotes. Ils reconnaissent la route juste avant le passage des concurrents. Ils doivent relever les plaques de glaces, les parties sèches ou enneigées, et anticiper un peu les risques d’humidité pouvant se transformer en verglas. A eux de repérer les virages risquant de se dégrader après le passage des premières voitures. Au vu de toutes les informations relevées, les ouvreurs donnent leur avis sur le choix de pneus à monter. Sur un rallye comme le Monte-Carlo où les conditions météorologiques sont très changeantes, le rôle des ouvreurs est d’une importance capitale et apporte un sacré poids sur leurs épaules !

En dehors du premier jour, ils démarrent très tôt, vers cinq ou six heures du matin, pour boucler les kilomètres au programme du jour, avant que les routes ne ferment pour faire place à la course. A eux de recenser tout ce qui a changé dans l’environnement, les conditions météorologiques et les conditions de route depuis les reconnaissances effectuées en début de semaine par l’équipage qu’ils assistent. Or, dans les Alpes du Sud, où se court le Rallye Monte-Carlo, les conditions évoluent drastiquement en très peu de temps et l’adhérence change du tout au tout d’un kilomètre à l’autre. Cette année les températures diurnes sont anormalement élevées, la journée une grande partie de la neige fond et les plaques de verglas disparaissent pour réapparaître avec le gel en début de soirée.

Les informations qu’ils ramènent, glanées au maximum 90′ avant le passage des vedettes en spéciales, servent à affiner les notes, les réglages et, si le temps le permet, le choix des pneumatiques.  » Ce sont probablement eux qui ont le rôle le plus crucial lors de ce rallye … » estime Malcolm Wilson, le patron de M-Sport Ford, qui s’y est lui-même essayé par le passé.  » Une erreur de leur part, une petite plaque de verglas oubliée dans une section piégeuse, cela peut faire la différence entre terminer le rallye et sortir de la route « , poursuit-il, insistant sur la  » pression énorme  » qui pèse sur leurs épaules.

AU MONTE-CARLO, NEIGE EST DIFFÉRENT DE VERGLAS, QUI EST DIFFÉRENT DE GLACE.

Une grande partie des ouvreurs sont des anciens pilotes, qui ont de l’expérience sur ce genre de terrain, et une confiance totale est indispensable entre le pilote, son co-pilote et ses ouvreurs.
Les pros comme les amateurs sont logés à la même enseigne. Tous les équipages possèdent une voiture ouvreuse. Sans cela, aucune chance de voir le drapeau à damiers. Nous faisons évidemment partie des purs amateurs, notre pilote, Luc et son équipier Renaud, comptent sur nous pour rejoindre l’arrivée, le classement sera secondaire.

Ce qui me plaît dans ce boulot, c’est le travail de précision dans les informations à donner. On se lève très tôt. Les 4 journées de course sont longues. C’est clairement un gros défi. Il y a beaucoup de pression dans ces circonstances et il faut pouvoir la supporter sans faire d’erreurs. Comme les pros, nous devons nous montrer à la hauteur. Chaque correction a son importance et a un sens très précis. Nous nous élançons enfin dans cette première spéciale, concentrés comme jamais, afin de ne rater aucun piège. Verglas, boue, neige, gravillons, corde dégradée, humide en sortie, frein sec, glace, mouillé, sale, gras, chantier, rail neige, tâche, glace au freinage, …. Le vocabulaire employé dans le système de correction des notes est plus que complexe. Il faut être précis. Nous avons bien préparé notre boulot lors de nombreuses discussions avec Renaud. Nous savons ce qu’il attend exactement de nous. J’ai la chance et le privilège d’être ami avec Nicolas Gilsoul qui m’a refilé tous ses petits secrets sur le rôle des ouvreurs.
Au Monte-Carlo, neige est différent de verglas, qui est différent de glace. Nous devons décrire l’état de la route et non l’interpréter. Si le givre commence à fondre dans la matinée avec l’apparition du soleil, il n’est pas de notre ressort d’imaginer sa totale disparition. Le risque d’erreur est en effet trop grand. Une des difficultés, c’est de dire, mais de ne pas trop en dire. En donnant trop d’avertissements, l’équipage perdra du temps en faisant preuve de trop de prudence. A contrario, si nous négligeons un piège, le risque est grand de voir nos protégés sortir de la route… C’est assez stressant, encore plus pour Bernard qui est le papa de Renaud. Notre passage dans la 1ère se passe à merveille, tout, ou presque, a fondu, peu de corrections.

Ouvreur au Monte-Carlo, ça ne me semble pas très compliqué.

La 2ème spéciale « Bayons – Bréziers » est un vrai juge de paix. Près de 26 km de folie ! Il fait nuit noire et les pièges se succèdent les uns aux autres. La tension est palpable dans l’habitacle. Nous sommes conscients que nous jouons avec la vie de Luc et Renaud, mais que nous ne pouvons trop les ralentir. Plus de 100 corrections de notes par rapport à leurs reconnaissances 3 jours plus tôt. Tous les ouvreurs sont en file indienne. Les voitures bloquent régulièrement les roues afin de bien distinguer les zones verglacées, certains sortent de leur véhicule et frottent le sol avec les pieds. Nous sommes juste derrière Sordo qui ouvre pour Neuville. Comme nous, il est très lent et semble parfois indécis dans ses prises de notes. Quand nous hésitons sur une correction, nous choisissons l’option « prudence », le but de notre équipage étant de rejoindre l’arrivée. Si pour eux, cette étape sera proche de « Bagdad », je n’ose imaginer les risques que devront prendre les ténors sur un terrain aussi piégeux … C’est sûr et certain, il va y avoir de gros écarts dans cette spéciale ! (Neuville et Gilsoul mettront en effet plus de 30 secondes à leurs plus proches adversaires).

Ouvreur au Monte-Carlo, c’est vraiment compliqué !

Entre les épreuves chronométrées, nous attendons le coup de téléphone de Renaud afin de lui communiquer les corrections, dans le style : « page 2, ligne 4, Gauche 3, verglas en sortie… ». De plus, nous donnons notre avis sur le choix des pneumatiques à adopter, selon le pourcentage d’enneigement, de verglas et surtout selon notre ressenti. La discussion est collégiale et c’est Luc qui prend logiquement la décision finale.

Un problème délicat s’ajoute à la qualité de notre job, celui des communications. Dans cette zone montagneuse, une de nos grandes angoisses, c’est de ne pas avoir de réseau. En liaison, Bernard s’arrête dès qu’il a 3 barres sur son GSM et qu’on a de quoi attendre l’appel de Renaud. La suite du rallye se passe parfaitement. La pression de bien faire est toujours présente mais de mieux en mieux gérée. La responsabilité est importante, mais c’est aussi ce qui est gratifiant et valorisant quand il y a une performance. Quand notre équipage est dans la spéciale, on est assez tendus et on espère avoir fait du bon boulot. On suit les temps en direct depuis le téléphone et on respire un grand coup quand ils ont passés l’arrivée ! C’est une pression positive et c’est un plaisir que de recevoir les remerciements de son équipe.

Nous avons la chance de vivre le plus incroyable rallye de la saison de l’intérieur. Nous côtoyons les ouvreurs des champions et vivons en direct leurs angoisses, leurs peines ou leurs joies teintées de soulagement. Il faut dire que les ouvreurs des champions qui jouent la victoire, ont un rôle indiscutable dans les résultats de cette épreuve. Ils sont dans l’ombre des vainqueurs et vivent 4 jours de stress intense.
Bruno Thiry, l’ouvreur habituel de Neuville, étant grippé, c’est la veille du départ que Dani Sordo le remplace au pieds levé. La mission de Sordo s’avère complexe. C’est un champion, mais il n’a jamais officié en tant qu’ouvreur. Les 2 premières journées ne se passent pas bien. Sordo se rend compte de la difficulté de la tâche. « C’était de la folie ! La glace, la nuit… Je me suis dit : Mais pourquoi je fais ça ? Pourquoi ai-je accepté cet intérim ?.»

THIERRY ET NICOLAS REMPORTENT LE MONTE-CARLO EN GRANDE PARTIE GRÂCE À LEUR OUVREUR DE LUXE.

Neuville et Gilsoul râlent. Ils ne sont pas contents de leurs ouvreurs, trop approximatifs à leur goût. Neuville : « Vendredi, c’était difficile d’être en confiance et de comprendre les corrections qui avaient été faites par l’équipage. Nous nous sommes assis autour d’une table vendredi soir et Dani a parfaitement réagi samedi matin. Il a parfaitement cerné mes besoins et mes formulations et cela est allé de mieux en mieux. Samedi après-midi et dimanche, il a fait un travail fabuleux me donnant la confiance nécessaire pour attaquer très fort. »

Dimanche, dernier jour du rallye, il reste 4 spéciales à parcourir. Les concurrents ont le droit d’emporter 2 roues de secours, mais ils ne pourront faire assistance ou modifier le choix de leurs pneumatiques lors de ces 4 spéciales. Lors du briefing matinal, le choix des pneumatiques est cornélien. Au passage des ouvreurs les spéciales sont encore humides et il reste de la neige par endroit. Certains pensent monter des neiges puis se ravisent. Loeb, équipier de Neuville décide d’un choix offensif et audacieux : 5 super softs, avec une seule roue de secours pour gagner du poids. Andrea Adamo, directeur de Hyundai, et toute son équipe, les confortent dans l’idée de ce choix. Loeb semble sûr de lui. Neuville choisit cette même tactique, avant que son ouvreur, Sordo, n’arrive à le convaincre que la route aura le temps de sécher et qu’il faut prévoir des softs pour le deuxième tour. Selon lui, les super-softs vont complètement se dégrader lors du deuxième passage. Pour Thierry Neuville et Nicolas Gilsoul qui n’ont encore jamais remporté cette épreuve, la stratégie à adopter est plus que complexe. Au dernier moment, Neuville part avec 3 softs et 3 super-softs en suivant les conseils de Sordo. Loeb est à la ramasse et perd un temps considérable, son choix se révèle catastrophique. Neuville et Gilsoul remportent les 4 dernières spéciales et par la même occasion le rallye de Monte-Carlo. L’expérience de la course de Dani Sordo et son recul sur les pneus a clairement fait la différence et cette décision à la dernière seconde a permis à nos compatriotes de sauver le week-end de Hyundai avec cette superbe victoire qui s’en est suivie. Thierry et Nicolas remportent le Monte-Carlo en grande partie grâce à leur ouvreur de luxe. Une tâche que l’Espagnol n’a pas hésité à qualifier d’enfer, assurant qu’il avait joué ce rôle par amitié pour Thierry, mais pour la première et dernière fois.
Luc, heureux d’avoir réalisé un rêve d’enfance, et Renaud, appliqué mais toujours cool, ont rejoint l’arrivée sans encombre. Un petit rosé à la main, leurs ouvreurs profitent du moment, attablés sur une terrasse du port de Monaco. Elle est pas belle, la vie …

Texte : Damien CHABALLE