DOMINIQUE THOMAS
Facteurs d’orgues de père en fils

« Sous les voûtes sacrées où il oeuvre des heures durant à une température qui rend le moindre courant d’air désagréable, le facteur d’orgues est à la tâche. La lente restauration de l’instrument a débuté voilà quelques semaines, rythmée par un désir de perfection qui ne le quitte pas… C’est un être attentif et observateur qui scrute le moindre détail, la moindre imperfection. Son travail alterne entre tradition et modernité sans oublier des connaissances musicales et acoustiques d’un niveau d’excellence. »

Une manufacture d’orgue, mais encore … Certes comme tout un chacun, j’ai pu admirer à maintes reprises dans des édifices religieux et de par le monde des orgues de facture différente, de la taille d’un piano à des ensembles impressionnants tant par leur volume que leur aspect esthétique. Comment résumer le fonctionnement de cet instrument et quelle est son origine?

L’origine de l’orgue remonte vers 250 ans avant Jésus-Christ et son invention est due à Ktésibios d’Alexandrie. L’instrument s’appelle «hydraule». A l’époque, une pompe à air actionnée par un levier soufflait l’air dans une cloche immergée dans l’eau. Le réservoir d’eau assurait une pression et un débit d’air constants pour alimenter les tuyaux de l’orgue. A l’époque des Grecs, l’orgue était en vogue dans le monde théâtral et de même qu’à l’époque romaine, il était très apprécié.

La réapparition de l’orgue en Europe date de 757, où Pépin le Bref reçoit de Constantin de Byzance un orgue. A partir du XIVème siècle et jusqu’au XVIIIème siècle, l’orgue connait des perfectionnements remarquables pour aboutir à la perfection des orgues baroques dont encore beaucoup d’instruments nous sont parvenus.

En ce qui concerne le fonctionnement des orgues entièrement mécaniques, nous avons tout d’abord du vent amené dans les soufflets soit plus anciennement amené par l’action des souffleurs ou maintenant amené par un ventilateur électrique.
Sur ces soufflets est placé du poids souvent en plomb et ce sont eux qui donnent la pression du vent. A la suite des soufflets, le vent est amené dans une des pièces principales de l’orgue que nous appelons « sommiers ». Ces sommiers contiennent des gravures, des soupapes et glissières. Il y a autant de soupapes que de touches au clavier. En effet, chaque soupape est raccordée par plusieurs pièces de bois et de métal aux claviers. A l’endroit où se trouve chaque soupape, l’air est sous pression.

Donc si nous actionnons une touche du clavier, nous libérons de l’air sous pression qui rentre alors dans la gravure. Comme les tuyaux de l’orgue sont déposés sur le dessus du sommier, le vent peut alors alimenter certains tuyaux et les faire chanter; Entre les tuyaux et le sommier, il y a une glissière percée de trous qui nous permet de faire certaines rangées de tuyaux. C’est ainsi que nous pouvons voir les organistes tirer des tirettes que nous appelons « registres » et qui permettent à l’organiste de pouvoir choisir les timbres de ces registres.

Environ 300 m2 de bâtiments et une équipe d’une quinzaine de personnes.Cette société s’affiche en plein développement. En quoi consiste exactement son activité ?

Notre atelier ne construit et ne restaure que des orgues à tuyaux. Nous réalisons dans l’entreprise toutes les composantes de l’orgue, excepté les ventilateurs et certaines pièces électriques et électroniques dont sont composés certains instruments.

La visite des lieux est impressionnante. Menuisiers, soudeurs, dessinateurs, informaticiens et monteurs travaillent avec une minutie rare à la production et à l’assemblage des milliers de pièces nécessaires à la réalisation d’un orgue hors du commun. De quoi s’agit-il ?
Il s’agit comme je l’ai dit tout à l’heure de l’entièreté de l’orgue que nous réalisons que ce soit du meuble, des mécaniques, des claviers, des soufflets, des tuyaux en étain et en bois et également de tous les dessins de l’orgue pour pouvoir le construire.
Si nous prenons par exemple la construction du nouvel orgue de la Cathédrale de Monaco, il a fallu plus ou moins une année à deux personnes pour dessiner l’entièreté de l’orgue avant de débiter la première planche. La construction pour notre atelier a duré plus ou moins 3 années…
Comme pour l’orgue que nous venons de restaurer à Sainte-Waudru à Mons, le challenge étant de taille car il nous était demandé de réaliser un instrument où on peut jouer un plus grand nombre de répertoire. Pour bien comprendre, il faut savoir que pratiquement chaque pays au XVIIème, XVIIIème et XIVème siècle a un style différent et l’écriture des compositeurs adaptée à des orgues d’un style bien particulier. Le pari dans les deux cas est très réussi grâce au travail de tous.

Former une équipe d’artisans avec de telles spécificités ne doit pas être chose aisée. Jeunes et moins jeunes semblent former une grande famille liée par un amour de la musique et la fierté d’oeuvrer sur un patrimoine hors de commun.

Dans une entreprise comme la nôtre, l’ambiance et la bonne relation entre chaque personne sont primordiales. Le respect du travail de l’autre et aussi l’entraide. Nous sommes une équipe où la moyenne d’âge est de +/- 28 ans. La plus grande partie a été formée au sein de l’entreprise, d’autres se sont formés à l’école de facture d’orgue à côté de Strasbourg et en atelier. Toutes ces personnes sont chez nous pour l’amour du travail bien fait et également pour perpétuer un savoir-faire.

Comment assurer la pérennité de cette entreprise hors norme? Une concurrence existe-t-elle ? Le marché international est-il ouvert ?

Dans notre entreprise et depuis le début, nous avons misé tout tant sur la qualité de l’appareillage en soit que sur la qualité artistique de la façade de l’orgue. Cela nous permet d’en assurer la pérennité et d’être appelés à remettre offre dans les plus grands concours internationaux. Afin également d’assurer une suite à l’entreprise, j’ai la chance d’avoir mon fils Jean-Sébastien qui nous a rejoint et qui assume déjà pleinement son rôle de facteur d’orgues au sein de l’entreprise.

Dominique, en faisant cette interview quelques jours avant l’impressionnant incendie de Notre- Dame de Paris, nous imaginions bien peu l’un et l’autre à quel point elle collerait à l’actualité. J’ai noté lors de ton récent passage à la télévision que tu restais optimiste quant à l’état de l’orgue, qui est un des plus grands du monde (cinq claviers, cent quinze boutons et huit mille tuyaux). C’est un miracle, qu’il n’y ait eu aucune dégradation de la tuyauterie et de tous les composants électroniques. Il est simplement empoussiéré. Que préconises-tu pour la remise en état complète ?
Après avoir eu l’occasion dernièrement de rencontrer Olivier Latry, organiste à N-D de Paris, lors de son récital à Sainte-Waudru à Mons, j’ai eu l’occasion de lui poser quelques questions. L’état du grand- orgue de Notre dame est plutôt rassurant. Il n’a pas été touché par l’eau car il été protégé en grande partie par la grande dalle en pierre qui se trouve au-dessus de lui.
En ce qui concerne la température – il y a un thermomètre à l’intérieur de l’instrument – au moment où le feu était le plus fort, celle-ci a à peine augmenté. Je n’ai pas visité le grand-orgue mais pour moi le plus urgent maintenant sera de mettre l’orgue dans un caisson de protection pressurisé. De cette façon, l’orgue sera protégé de toutes dégradations qui pourraient venir lors de la reconstruction de la Cathédrale. Après cela, on pourra nettoyer tout l’instrument. Pour avoir déjà eu des cas similaires, il faudrait pour moi nettoyer toute la tuyauterie au plus vite de la suite qui s’est déposée sur les tuyaux. Cette suie est très néfaste pour les tuyaux car elle attaque le métal dans le temps et plus on attend, plus difficile sera de l’enlever.

Interview & Photos : Jean Bourseau

Manufacture d’Orgues Thomas
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