DANS LES CHAMPS DE GRASSE
Berceau de la parfumerie

À l’origine : des gants, des bottes et des carrosseries en cuir. Des peaux de toutes sortes vendues et négociées par les tanneurs de Grasse dès le XIIe siècle. Des cuirs qui ne garderont leur odeur d’étable que quelques siècles puisqu’on se met à les parfumer au XVIIe.

LÀ OÙ TOUT A COMMENCÉ …
Le sol fertile de cette région au climat idéal, à l’abri du vent, devient alors le terreau de plantations florales nécessaires au parfumage du cuir. Des champs de rose, de jasmin, de tubéreuse, de mimosa, de fleur d’oranger, de violette et de lavande colonisent progressivement la Côte d’Azur et offrent à Grasse son statut légendaire de berceau de la parfumerie.
Toute l’industrie s’y installe : ses usines d’extraction, ses marchands et ses parfumeurs qui viennent y apprendre leur métier ou sélectionner leurs matières premières. Depuis plus de trois siècles, la culture des plantes à parfum se perpétue à Grasse. Rafraîchi par le vent et baigné par le soleil méditerranéen, le sol fertile de cette région présente les conditions idéales pour la production de fleurs à parfum d’une qualité exceptionnelle. Grasse est indéniablement le berceau de la parfumerie française.
Les fleurs cultivées dans le pays grassois deviennent très vite les matières premières de référence des grands parfumeurs.

LES CRÉATEURS DE PARFUMS
Il est bien loin le temps où les créateurs de parfums travaillaient dans l’ombre. Si autrefois les maisons de parfums se gardaient bien de dévoiler leur nom, aujourd’hui, on les met sur un piédestal. On les brandit presque comme des trophées. Travailler avec un créateur de parfum est synonyme de prestige, de professionnalisme. Nez, créateur de parfum, parfumeur, peu importe la façon dont vous les appelez, ils ont tous en commun l’amour des parfums. Ils sont tous là pour orchestrer et marier les notes entre elles. Accords boisés, fleuris, ambrés, hespéridés, qu’importe la famille olfactive, le créateur de parfum est cette personne qui manie toutes les matières premières de la parfumerie. Naturelles ou synthétiques. Le nez est celui qui va partir d’une histoire, d’une image, d’un souvenir pour créer un parfum.
Et puis il y a ces ténors de la parfumerie, ces grands nez que les grandes maisons de parfums s’arrachent. Fins, doués, maestros, ces génies de la parfumerie sont sollicités par toutes ces maisons de parfums en quête d’authenticité et de prestige. Nous sommes loin de la parfumerie sélective où les parfums naissent par centaine chaque année. Les parfums naissent d’un travail de recherche, minutieusement taillé, précis et laborieux. Un travail de fourmis unique.
“Dis-moi qui t’as distillé je te dirai qui tu es”… Cela pourrait être le nouvel adage de la haute parfumerie. Les créateurs de parfums sont propulsés sur le devant de la scène. À chaque parfum sorti, le nez de la fragrance est mentionné. Gage d’excellence. Certificat d’authenticité. Le créateur est mis sous le feu des projecteurs, il est désormais acteur du succès et non plus marionnettiste. Une manière noble de rendre hommage à ces véritables auteurs à succès.

AUX SOURCES DU MYTHE
Symbole du luxe français, véritable incarnation du rêve et du glamour, le parfum N°5 de Chanel fascine les femmes depuis plus de 100 ans grâce à son odeur unique. C’est dans le vallon de Pergomasse à Nice que se trouvent les sources de ce parfum mythique, le jasmin.
Le N°5 contient 10 % de jasmin, ce qui est considérable. C’est un parfum résolument moderne qui a traversé les époques et qui a une odeur qui ne ressemble à aucune autre.
C’est au petit matin, quand percent les premiers rayons du soleil que des hommes et des femmes engagés pour la saison, s’activent pour cueillir d’un geste vif et habile les fleurs ouvertes de jasmin.
La famille Mul, propriétaire de l’exploitation cultive cette fleur précieuse exclusivement pour Chanel depuis trois générations.
Tous les jours d’aout à novembre après la cueillette, les fleurs sont pesées puis livrées dans l’usine qui se trouve au milieu des champs. Elles sont aussitôt chargées dans des extracteurs pour être mises en contact avec l’hexane, le solvant qui va permettre de transformer les fleurs en concrète, une pâte obtenue par extraction.
La concrète est ensuite séparée de l’héxane par distillation, puis par distillation sous pression on obtient un concentré nommé l’absolue. Pour un kilo d’absolue, il faut compter 700 kilos de fleurs de jasmin ce qui représente 2 000 heures de cueillette.

« JE CROIS À LA QUATRIÈME DIMENSION, ET À UNE CINQUIÈME (…) DISAIT COCO. C’EST NÉ DU BESOIN D’ÊTRE RASSURÉE, DE CROIRE QUE L’ON NE PERD JAMAIS TOUT ET QU’IL SE PASSE QUELQUE CHOSE DE L’AUTRE CÔTÉ. »
MARCEL HAEDRICH, “COCO CHANEL”, BELFOND, PARIS, 1987

UNE HISTOIRE D’AMOUR
Il semble que l’histoire du N°5 commence à l’instant même où Gabrielle Chanel apprend la disparition de son amour Boy Capel en décembre 1919.
Arthur Capel dit Boy occupe une place centrale dans l’histoire de Gabrielle Chanel. C’est à ses côtés qu’elle devient une lectrice et une fois Boy disparu elle poursuit son dialogue sentimental à travers les livres qu’il lui a fait lire. Ce deuil pourtant, va nourrir une intuition; Chanel va parvenir à le sublimer à travers la création de son premier parfum. N°5 naîtra du manque et de l’absence, étroitement lié au destin de Gabrielle Chanel, réminiscence d’un amour interrompu brutalement mais qu’elle chérira toute sa vie. En sublimant le deuil dans la création, Chanel s’offre un parfum d’éternité.
Août 1920, Misia et son mari José Maria Sert persuadent Chanel de les suivre à Venise. Ce voyage à la découverte de la cité des Doges se révèle salvateur et initiatique. Flamboyante et mystérieuse, La Sérénissime aux visages multiples, séduit Gabrielle Chanel qui en fait l’un de ses lieux de prédilection et ne cesse de s’en inspirer. Mais Venise c’est aussi la plaque tournante du commerce et des relations entre Orient et Occident. La ville joue un rôle prépondérant dans l’histoire de l’introduction des parfums en Europe. Les marchands vénitiens s’engagent sur les routes de l’Orient, ainsi l’illustre Marco Polo atteint la Chine par la route de la soie en 1275. Il relate ce voyage dans « Les Livres des Merveilles », décrivant notamment le raffinement des civilisations orientales. C’est encore dans la cité des Doges qu’est rédigé en 1555 le premier traité européen de la parfumerie.

UNE LÉGENDE
C’est à Ernest Beaux, un parfumeur français qui travaillait pour la Cour de Russie, rencontré à Grasse en 1920, qu’elle confie la mission d’imaginer son premier parfum. Ensemble, ils inventent « un parfum de femme à odeur de femme », comme elle se plaît à le qualifier… Pensé comme une robe de couture, N°5 est le premier parfum qui s’affirme comme une abstraction : en rupture avec les fragrances en vogue qui n’évoquent le plus souvent qu’une senteur figurative (la rose, le jasmin, le lilas), aucune note dominante identifiable ne se dégage de ses quatre-vingts composants. Ernest Beaux a mêlé aux essences naturelles des produits de synthèse, les aldéhydes qui en exaltent toute la fraîcheur. C’est l’un des secrets de ce jus audacieux et novateur qui évoque une fleur mystérieuse.
Intuition ou intelligence, en 1921, alors qu’elle respire le flacon qui contient la cinquième proposition d’Ernest Beaux, Mademoiselle Chanel sait qu’elle tient là un mythe. Une légende qui va largement contribuer à la sienne, elle qui a su mieux que personne s’inventer, et propose généreusement aux femmes d’en faire autant…
Depuis près d’un siècle, CHANEL s’approvisionne à Grasse, et depuis 1987, contribue activement à pérenniser la culture du jasmin et de la rose. Aujourd’hui, la culture s’étend à d’autres plantes à parfum, allant de l’iris au géranium en passant par la tubéreuse.